Sabine Blanc

journaliste web

Un TEDx au Sahara

Cette semaine, je me suis rendue à Tarfaya, une bourgade du sud marocain aux portes du Sahara qui a la particularité d’avoir le premier hackerspace du pays, Sahara Labs (il se peut aussi que Saint-Exupéry s’en soit inspiré pour Le Petit Prince, passons ce détail). El Wali El Alaoui, son fondateur, se démène beaucoup pour sa petite ville qu’il aime d’un sincère attachement. Avec des amis, ils ont créé l’association Cap10, qui, outre l’animation du hackerspace, a organisé le premier TEDx de la ville ce samedi. Autant faire deux pierres d’un coup et jumeler un reportage sur Sahara Labs avec un talk, sur les hackerspaces arabes bien sûr.

Je ne suis pas particulièrement fan de la tedxification du monde, ce côté "réduisons-brillamment-avec-humour-emotion-et-enthousiasme-le-monde-dans-un-discours-de-15-minutes", mais c’était l’occasion de mettre en avant l’intérêt potentiel des hackerspaces pour le Maroc en montrant ce qui est déjà en cours chez ses voisins.

Si le format était effectivement contraint, l’événement n’avait rien du bullshit propre sur lui qui se dégage des vidéos TEDx mises en ligne. Non, l’état d’esprit m’a rappelé nos fêtes annuelles de village, à part que le maire était ici remplacé par le représentant de la province de Tarfaya. C’était touchant de voir toute la petite équipe sur son 31, en habit traditionnel sahraoui, qui confère aux hommes une superbe allure simple et élégante. L’un deux est venu nous chercher à l’hôtel, lunettes noires et vieille Mercedes.

Ils s’étaient démenés pour aménager la salle unique du musée Saint-Exupéry en un camp sahraoui, tente, tapis, coffrets, poufs, coquillages habillés d’une peau décorée à la peinture. L’entrée était gratuite, ce qui n’est pas souvent le cas avec les TEDx. Un buffet a été servi à la pause, avec l’incontournable thé à la menthe, plus fort ici qu’au nord du pays.

El Wali El Alaoui, fondateur de Sahara Labs et co-organisateur du TEDx.

Sur les six intervenants, pardon speakers, deux sont intervenus en arabe pour évoquer le potentiel de la ville et la nécessité de préserver son patrimoine : chanson, nature, etc. Du coup, j’ai applaudi par mimétisme, en mode OSS 117.

Saint-Exupéry était un passage obligé, et c’était pas plus mal : rabâché, Le Petit Prince a eu pour ma part un effet repoussoir, et la présentation m’a donné envie de le relire, à grand coup de citations implacables sur la fraternité et le dépassement de soi. Certaines ne sont pas sans lien avec l’éthique hacker d’ailleurs, Saint-Ex ne se serait pas déplu au Sahara Labs :

« Notre communauté n’était pas somme de nos intérêts, elle était somme de nos dons. »

De même son obsession à faire passer le courrier rappelle le datalove : data must flow !

Un ingénieur est venu présenter l’énorme projet de ferme éolienne, le plus grand d’Afrique, à Tarfaya même. Je ne suis pas sûre que GDF-Suez se soucie vraiment du développement harmonieux de la région, mais c’est toujours moins pire que les gaz de schiste qui pointent le bout de leur fracturation hydraulique. Du coup, on a discuté davantage avec des ingénieurs qu’avec des touristes à l’hôtel. Comme par exemple Juan [1], un Espagnol naguère à la tête d’une entreprise florissante dans les énergies renouvelables qui a tout perdu et espère faire de nouveau affaire au Maroc. Pour le moment, il travaille sur le chantier de la ferme éolienne. Il a divorcé et ne voit sa fille, restée en Espagne, que rarement. À l’hôtel, il traine son ennui et son espérance triste, avec dignité.

Casamar, accessible uniquement à marée basse.

La première nuit, il nous a gentiment emmenées avec Ghizlane Echoudar à quelques kilomètres de la ville, observer les étoiles. Ghizlane est chef de projet dans le merchandising, elle travaille en ce moment sur l’amélioration du petit commerce marocain - hygiène, présentation, etc-, et elle est passionnée de photographie (et aussi de pain au chocolat à la vache qui rit, si, si). Son Canon EOS 5D mark III, équipé d’un 24-105 et son trépied Manfrotto ont fait les 1 000 kilomètres avec elle depuis Casablanca.

Les deux jours précédents le TEDx, elle a arpenté la ville pour en saisir sa beauté tranquille, des clichés qu’elle a utilisés pour sa présentation. Elle a présenté son rêve de Tarfaya dans le futur : une ville reverdie, grâce à la protection du tarfa, cet arbre qui protège de l’ensablement mais qui a quasiment disparu ici, du kitesurf ou encore l’aménagement de Casamar, un fort accessible à marée basse, en un restaurant-galerie.

Développer Tarfaya, pourquoi pas. S’il est toujours possible de laisser trainer trois heures un lap top au bar de l’hôtel sans craindre le vol, si le pêcheur prend encore le temps de sortir de l’eau ses caisses de crabes et de langoustes pour vous montrer les impressionnantes bestioles, si des enfants dans la rue continuent de vous dire « bonjour, bienvenu au Maroc » dans un français approximatif, avant de repartir aussi vite qu’ils sont apparus, si vos hôtes vous retiennent encore par le bout du sac pressé pour un dernier repas, quitte à appeler la compagnie de bus pour jauger le retard de votre véhicule et à négocier avec le chauffeur une petite pause. Le dernier tajine était à la chèvre, dégusté avec les doigts et du pain, selon la coutume.

« La beauté, qui est beauté,
N’a ni de pourquoi,
Ni de faux semblants. »
Barbara, Là-bas.

« Rien, rien, c’est bien mieux que tout. » Gainsbourg, Ces petits riens.

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Photos avec l’aimable autorisation de Ghizlane, aka Kai Sou.

Lire aussi ce billet de John Toutain, Et si le futur du Maroc s’écrivait à Tarfaya ? John vit au Maroc, où il est entre autres curateur du TEDxCasablanca, et il a aidé à ce titre l’organisation de TEDx Tarfaya.

5 mai 2013

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