Sabine Blanc
journaliste web
Les associations reconnues d’utilité publique au tamis de l’analyse de données
Entre le fromage et la bûche, on s’est fait un petit hackaton de couple de nerds (rien de sexuel) avec Julien Kirch sur un fichier de data.gouv, qui vient de faire peau neuve et donne enfin envie de fourrer son nez dedans. J’ai pris un fichier pas très sexy d’apparence, pour voir ce qu’il était possible d’en tirer, celui des associations reconnues d’utilité publique (ARUP). Il s’agit des données de septembre, et non la dernière MAJ qui vient tout juste d’être publiée, ça ne change pas grand chose. Je pensais pouvoir me débrouiller toute seule, en fait il a fallu appeler mon dév’ à la rescousse.
Réservée aux associations loi 1901, la reconnaissance d’utilité publique obéit à un certain nombre de critères dégagés « par la pratique administrative » : « un but d’intérêt général », « une influence et un rayonnement suffisant », « un nombre minimum d’adhérents », « la tenue d’une comptabilité », « une solidité financière tangible », « des statuts de l’association qui apportent des garanties », « une période probatoire de fonctionnement d’au moins 3 ans ». Elles bénéficient en retour de la possibilité de recevoir des donations et des legs, en plus des dons manuels et d’une crédibilité certaine conférée par ce label. Le fichier sur data.gouv en recense près de 2000
Géolocalisation
Première possibilité d’exploitation, géolocaliser les ARUP. Cela peut donner des idées à des personnes qui ont envie de soutenir une association locale. Problème : le fichier est cracra, l’adresse se vautre sur cinq colonnes, le nom de l’association sur deux, cap’ et bas de casse mélangées.
Un petit script plus tard (et des biscuits de Noël lorrains pour récompenser la bête de code), c’est exploitable, il ne reste plus qu’à se crever les yeux quelques heures pour remettre (à peu près) d’aplomb les majuscules car tout le texte a été passé en bas de casse pour simplifier. Ce n’était peut-être pas le choix optimale mais c’est fait, et ça donne l’occasion de nettoyer au passage une poignée de doublons. Le texte indiquant l’objet de l’association est aussi sale, apparemment il s’agit de celui communiqué par les associations, sans corrections, je l’ai laissé tel quel quasiment, trop long à mettre en bon français. La colonne date de reconnaissance d’ARUP était aussi présentée de façon hétéroclite, seules les années ont donc été conservées pour des questions pratiques.
Cette présentation est une invitation à explorer les objets des ARUP, et à s’interroger sur la relativité de la notion d’utilité publique et son évolution diachronique. Le fichier ne précise malheureusement pas si les associations sont toujours en activité, on trouve de temps à autre des indications imprécises du type « AG va se réunir le 22/01/1999 en vue de se prononcer pour la dissolution » ou encore « Etude, recherche et conservation des documents, monuments et objets d’art historiques du Forez. Le maintien de la RUP pourrait être conditionné à une plus grande transparence comptable », sans que l’on sache la suite donnée.
Prises à la volée, quelques exemples d’ARUP qui peuvent étonner :
L’association de propagande pour le vin, RUP 1930, ne semble plus exister. En 1964, elle publiait encore « des placards publicitaires recommandant de boire du vin aux repas : « Adolescents, adultes, vieillards : de 0,7 5 à 2 litres par jour suivant votre activité et le travail que vous fournissez. » [source]
Alliance nationale population et avenir, RUP 1913, dont l’objet est d’« attirer l’attention de tous sur le danger que la dépopulation fait courir à la nation française et provoquer l’adoption des mesures propres à accroître la natalité. » Cette très droitière association existe toujours.
la maison d’accueil et de retraite du canton de Précy-sous-Thil, pour mémoire les ARUP doivent en théorie avoir « une influence et un rayonnement suffisant et dépassant, en tout état de cause, le cadre local ».
Le Yacht club de France, qui a plein de rois et reines en membres d’honneur.
Association la renaissance française culture solidarité francophonie, objet « Resserrer les liens entre l’Alsace la Lorraine et la patrie retrouvée regrouper les bonnes volontés en vue de travailler à la grandeur de la France. ». Elle existe toujours, mais ses objectifs actuels ont évolué depuis que la patrie a été définitivement retrouvée.
une tripotée d’association d’anciens élèves.
Quelles catégories ?
Deuxième idée, dans quelle catégorie sont classées ces ARUP et certaines sont-elles plus prégnantes selon l’époque ? Problème : les catégories ont l’air avoir évolué, il en existe onze actuellement (« philanthropique, social, sanitaire, éducatif, scientifique, culturel ou doivent concerner la qualité de la vie, l’environnement, la défense des sites et des monuments, la solidarité internationale ») mais le fichier en indique une trentaine dont certaines se recoupent.
Un second script plus tard, cela donne ceci (scroller) :
Et cela, les catégories mineures (moins de 15 occurrences) ont été retirées pour une lecture plus aisée :
On voit une forte augmentation du nombre d’ARUP après la Première Guerre mondiale dans le domaine de l’éducation/formation et de la santé. Pour la première catégorie, il s’agit pour beaucoup d’associations d’anciens élèves, pourquoi, mystère et bulles de gomme. Concernant la seconde, on trouve pas mal d’associations luttant contre les maladies respiratoires et en particulier la tuberculose, une plaie de l’époque à laquelle les pouvoirs publics s’étaient attaqués. Elle fait d’ailleurs de nouveau surface, crise oblige. Des préoccupations hygiénistes plus générales, teintées parfois de morale, sont également présentes.
Les années 70 sont celles de la montée en puissance de l’attention portée aux animaux, avec le déploiement d’antennes locales de la SPA, et à l’environnement.
Et pour anecdote, la première ARUP remonte à 1690, l’Académie de Villefranche-en-Beaujolais, une donnée qui parait bizarre, je ne pensais pas que la RUP était si ancienne et mes recherches ont été infructueuses pour éclaircir ce point.
Wordle
Enfin, on peut dégrossir les buts poursuivis par ces ARUP dans le temps grâce à des Wordle. Il a été fait à la truelle, cela mériterait un travail de regroupement des termes, etc, je délègue ça à un gentil thésard :)
1820-1840
À l’époque, agriculture, sciences et arts sont dans un même package. Est-ce la traduction de l’idéal de l’honnête homme, là encore il faudrait se tourner vers un historien pour en savoir plus.
Société d’émulation agriculture, sciences et arts de Bourg/« S’occuper des sciences, lettres et arts et particulièrement d’agriculture. »
La même dans un autre coin : Société nationale d’agriculture, sciences et arts/ « Associer tous les propriétaires ruraux, fermiers ou industriels domiciliés ou ayant leurs propriétés dans l’arrondissement de Douai. »
1910-1930
Au menu, de l’aide pour les enfants et les malades, hygiène et morale allant parfois de pairs :
Œuvre des pauvres malades secourus à domicile/« Secourir et soigner chez eux les malades indigents et leur porter assistance physique et morale. »
Le secours de l’enfance/« Conserver au pays, des enfants nombreux, sains et vigoureux ; seconder matériellement et moralement l’effort du service municipal des infirmières - Visiteuses de l’Enfance. »
Idem version anciens élèves :
Association des anciens élèves de l’école alsacienne/« Etablir un centre commun de relations amicales entre ses membres, venir en aide aux anciens élèves ayant besoin d’assistance, faire œuvre de bienfaisance envers des enfants pauvres méritants. »
1960-1970
Donc nos animaux :
Société protectrice des animaux de Bordeaux et du Sud-Ouest/« Défendre les animaux maltraités, recueillir les animaux errants et leur procurer nourriture et gîte, soigner les animaux trouvés blessés et malades sur la voie publique, leur trouver un nouveau maître, propager dans le public la bonté envers les animaux. »
Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA)/« Assister, défendre et protéger par tous les moyens appropriés que permet la loi les animaux destinés à la boucherie ou à la charcuterie à l’équarrissage ainsi que les bêtes de basse cour et par extension tous les animaux. »
2000 - 2013
Sur les tags fédération et enfants, un sujet de préoccupation constant :
« Fédération nationale enfants et santé/La fédération a pour objet de fournir aux associations affiliées coordination, appui et force dans les actions décidées par son conseil d’administration et son assemblée générale conformément aux présents statuts. »
Fédération et développement, ce dernier terme témoignant de l’intérêt pour le malheur hors de nos frontières (cf aide au développement, pays en développement, etc, un vocabulaire récent). Au début du siècle, il est à entendre uniquement au sens de « faire progresser » (par exemple : « Développement de l’instruction professionnelle, protection des apprentis et des enfants. »)
« Association planète urgence/Participer à des actions de solidarité internationale et de protection de l’environnement permettant l’implication de la société civile dans les efforts de la solidarité et du développement international. »
Messages
1. Les associations reconnues d’utilité publique au tamis de l’analyse de données, 27 décembre 2013, 21:01, par Méroth
C’est énorme le travail que vous avez fait là ! (enfin ça me semble énorme, car je suis vite impressionné et ébahi devant les gens qui "palpent de la donnée" !
Merci
2. Les associations reconnues d’utilité publique au tamis de l’analyse de données, 3 janvier 2014, 06:56, par audureau
Il ne faut pas oublier les associations de statut local qui peuvent être reconnues de mission d’utilité publique, telle "les droits des non-fumeurs" www.dnf.asso.fr dont le siège social est à Griesbach au Val (68140)
3. Pourquoi les associations d’anciens élèves ? , 8 novembre 2015, 10:05, par Ludovic Bu
Bonjour,
Merci pour cet article passionnant, que je m’empresse de relayer auprès des anciens de la Fage (une fédération d’associations étudiantes).
A la question que vous posez "il s’agit pour beaucoup d’associations d’anciens élèves, pourquoi, mystère et bulles de gomme", la réponse me semble être que ces associations étaient bien souvent des associations de bienfaisance, envers les anciens de l’école en situation difficile, envers leurs veuves ou les orphelins après les guerres, envers des populations défavorisées parfois.
Deux exemples :
"La première association d’anciens élèves [de Polytechnique] fut fondée en 1865, 71 ans après la création de l’École, sous le nom de « Société amicale de secours des anciens élèves de l’École polytechnique » (S.A.S.), et reconnue d’utilité publique par décret impérial du 22 septembre 1867. L’association fut dissoute par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale par l’ordonnance du 24 janvier 1942 et opéra clandestinement jusqu’au 1er septembre 1944[1], avant d’être rétablie. Le but de la SAS était de « venir en aide aux camarades malheureux et à leurs famille », l’association prenait ainsi le relais du bureau de bienfaisance de la Caisse des élèves créé en 1806". (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Association_des_anciens_élèves_et_diplômés_de_l%27École_polytechnique)
"Les Anciens [du collège Stanislas] obtenaient du maréchal de Mac Mahon, président de la République, la reconnaissance de l’utilité publique de l’Association conçue pour « perpétuer les relations contractées au Collège » et « venir en aide aux anciens élèves malheureux ». http://www.anciensdestan.org/150-ans-de-foi-d-amitie-de,072.html