Sabine Blanc

journaliste web

DIY calling


Joey Ramone, le chanteur du groupe Ramones.

Le mot DIY fait plutôt penser à des gus dans un garage avec un marteau plutôt qu’une guitare au poing. En quoi le punk relève-t-il du DIY ? Est-ce un aspect à la marge ou au contraire est-ce l’essence du punk ?

Il est vrai que les fiches Castorama participent elles aussi de la dynamique DIY. La scène punk est véritablement la première à célébrer à ce point le DIY. Le phénomène est lié à son histoire. Il s’exprime d’une part, par une volonté de participer à l’activité artistique et culturelle sur la base de l’idée que chacun peut le faire. Chacun peut monter un groupe, chacun peut éditer un fanzine, chacun peut organiser un concert, chacun peut monter un festival, chacun peut lancer une radio, etc. Un certain nombre d’exemples vont le démontrer et confirmer que c’est effectivement à la portée de chacun.

Pour la production de disques, les Buzzcocks vont faire la démonstration qu’il est possible d’autoproduire un disque, qu’il est possible de monter un label pour lui donner un statut professionnel, qu’il est possible de le distribuer sans réseau de distribution professionnel. Et pour finir d’obtenir un succès indépendamment (16 000 copies écoulés en moins de six mois) de toute structure professionnelle. En 1977, c’est totalement inédit.

Pareil pour les fanzines. Mark Perry va lancer Sniffin’Glue, premier fanzine punk britannique. De 50 exemplaires, il va atteindre 15 000 exemplaire en moins d’un an. Sur un mode bricolé, DIY, complètement non-professionnel. Ce qui est proprement incroyable. Et qui va convaincre d’autres jeunes gens à passer à l’action. Qu’être musicien et journaliste n’est pas réservé à une élite. Le DIY va dès lors se répandre comme une trainée de poudre.

Évidemment, il faut aussi mettre ce phénomène en relation avec la démocratisation des moyens de production. Le prix des instruments se démocratise, les photocopieurs de répandent dans l’espace professionnel, quantité de choses inimaginables jusqu’alors deviennent possibles. Les punks vont s’engouffrer dans la brèche avec une bonheur qui ne se dément pas jusqu’à nos jours. Si bien que le DIY est totalement consubstantiel du punk rock. Ou plus exactement de certaines franges punk rock. Celles pour lesquelles le DIY est un critère d’authenticité majeur.


Quel groupe/artiste vous semble le plus incarner cet esprit DIY ?

Crass et la majeure partie de la scène anarcho-punk (Poison Girls, Amebix, La Fraction et des milliers d’autres), les Desperates Bicycles, Tragedy et puis des gens comme IanMcKaye de Minor Threat, Fugazi et The Evens qui a confondé un label DIY, Dischord Rds.


Avant le punk, d’autres groupes ont-ils versé dans le DIY ? Vous évoquez le skiffle mais n’y a-t-il pas eu d’autres précédents ?

Oui bien sûr, les punks sont simplement les premiers à valoriser autant le DIY comme manière de faire, comme état d’esprit. Avant eux, il y a eu les hippies dans les années 60, le skiffle dans les années 50, le jazz et le blues dans la première moitié du siècle. La différence tient à ce que pour beaucoup d’artistes, le DIY est un pis aller. Pour les punks, une frange d’entre eux, c’est un mode de vie et il n’est pas imaginable de fonctionner en dehors de ce régime.


On ne retrouve pas cet aspect dans le rap, autre genre anti-système ?

Si bien sûr, certaines franges du rap fonctionnent exactement de la même manière. Mais c’est le cas de quantité de genres musicaux. On fait indépendamment de l’industrie musicale qui ne veut pas de nous et on s’en fiche. L’important c’est de faire des choses. C’est le processus qui compte. Et l’on ne rend des comptes à personne. C’est très sain !

La notion de rattrapage par le système revient souvent, vous évoquez la capacité du « nouvel esprit du capitalisme » à souffler aussi dans les cordes punk. Est-ce une fatalité ou certains ont-ils su y échapper ?

Effectivement, certains punks, même attachés au DIY peuvent rejoindre les multinationales à un moment de leur carrière. C’est toute la force du capitalisme que de parvenir à attirer à eux les rebelles et autres réfractaires. Car la rébellion fait vendre. C’est un argument commercial en soi. Que les multinationales tentent d’exploiter allègrement. Certains artistes peuvent se montrer sensibles aux arguments déployés par les multinationales. D’autres y résistent envers et contre tout.

Mais il ne s’agit jamais d’une fatalité. Ce sont des choix éthiques. Ils appartiennent à chacun. Certains sont très critiques à l’endroit des artistes qui décident de travailler avec une multinationale. Mais peut-on légitimement refuser à un artiste de vouloir vivre de son art ? Et que dire des artistes punk qui vendent leur musique à des agences de pub et réinvestissent l’argent ainsi gagné dans des collectifs comme Sea Sheperd, Greenpeace, Indymedia ?

Crise écologico-économique, montée en puissance des pratiques collaboratives grâce à Internet, le DIY est en plein essor actuellement, est-ce que l’écosystème actuel de la musique a un regain d’intérêt pour le DIY aussi ?

Évidemment. En période de crise, le monde économique cherche à faire des profits, mais aussi des économies, et accessoirement à s’inspirer de nouveaux modèles. L’industrie musicale observe donc avec intérêt cette dynamique DIY. Elle l’effraie à bien des égards, car si tous les artistes décidaient de se dispenser des services offerts par les industries culturelles, elles courraient à leur perte.

D’un autre point de vue, cette dynamique DIY offre de nouvelles ressources utiles aux industries culturelles dominantes. On voit comment elles exploitent les ressources du web 2.0 par exemple en mettant les dispositions des fans à leur service. Mais sur le fond, les industries culturelles restent très attractives. Et il faut être très fort pour y résister. Certains le sont, d’autres moins. Mais en définitive, ce qui compte, n’est ce pas de produire de la musique de qualité ?

Do It Yourself ! Autodétermination et culture punk, Fabien Hein, Paris : Le passager clandestin, 2012, 174 pages.

Image Flickr CC by nd Rik Goldman et by nc Cletus Awreetus

23 avril 2013

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